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... En avril, Benoît, qui vient d’avoir 19 ans, obtient des siens la permission de se rendre à la Chartreuse de Longuenesse, près de la ville de Saint Omer. Hélas, sa demande essuie un refus, le Prieur l’informant qu’à la suite des ravages causés par un incendie, il n’est plus possible de recevoir des novices.
Après quelques semaines de réflexion, Benoît-Joseph rejoint donc le Monastère de Neuville, près de Montreuil-sur-Mer. Nouvelle déception : le Prieur le trouve trop jeune et lui conseille d’apprendre le chant et d’achever ses études. Pendant trois mois, Benoît se remet donc au travail avec acharnement. Nous le retrouvons donc, début octobre 1767, sur la route de Montreuil, en compagnie d’un autre garçon qui aspire à la vie monastique, lui aussi. Cette fois-ci, tous deux sont admis ! Mais, encore quelques semaines, et Benoît est repris par ses crises d’angoisse, cet état de scrupule qui le ronge et l’épuise. Ces tourments ont de telles conséquences sur sa santé déjà fragile, qu’il est alors reconduit chez ses parents. Bien que Benoît-Joseph vive ce retour forcé à la maison comme un échec lourd à assumer, il ne se décourage cependant pas, détournant l’origine du problème en se disant que si les Chartreux ne veulent pas de lui, cela ne fait que le confirmer dans sa certitude d’être appelé à la Trappe. Il s’agit là du désert auquel il aspire depuis toujours, et, sachant l’importance qu’y tient le travail manuel, il espère ainsi demeurer dans un équilibre suffisant.
Ayant repris la route, le voici arrivé dans l’Orne, à la grande Trappe de Soligny, le 25 novembre 1767. Tout son voyage s’étant déroulé sous une pluie battante continuelle, il se présente au Monastère dans un état pitoyable. Il est tellement épuisé qu’il ne peut être question de le garder, d’autant plus qu’il ne peut être admis au noviciat avant l’âge de 24 ans ; le Père Théodore Chambon témoignera que si nul au monastère n’a gardé le souvenir de ce passage, sur le registre des postulants reste consigné son nom, à la date du 25 novembre 1767. Benoît vit ici une des crises de conscience les plus aiguës de son existence.
Revenu à Amettes, et bien qu’accueilli avec joie et tendresse par les siens, il traverse un état dépressif auquel son entourage essaie de remédier en le réintégrant au travail commun des champs ou du commerce. Benoît part demander à Notre Dame de Boulogne de lui venir en aide et décide de faire une retraite au séminaire. Reçu par son évêque, Mgr Partz de Pressy, celui-ci l’invite à rejoindre l’avis de ses parents et à faire un nouvel essai chez les Chartreux.
C’est à cette époque, en janvier ou février 1769, que notre infatigable chercheur de vérité se rend à Gouy-Saint-André, dans le canton de Champagne-lès-Hesdin. Là se situe l’Abbaye Prémontrée de Saint André-aux-Bois où il est possible qu’il se soit déjà rendu précédemment. Toujours est-il que, selon le témoignage du Père Mathias Alard, il y aurait rencontré longuement le Révérend Père Abbé, Ignatius Crépin, qui, l’entendant évoquer son projet arrêté de vie cartusienne, lui aurait annoncé : « Notre Seigneur vous appelle à marcher à sa suite … »
Le 12 août 1769, Benoît quitte ses parents et son village d’Amettes, qu’il ne reverra plus jamais, pour rejoindre Montreuil. Admis sans difficulté particulière, notre héraut de Dieu se révèle, à nouveau, dans l’incapacité d’assumer une vie communautaire. Son état dépressif s’accentue, le conduisant à un quasi mutisme, comme en témoigne le frère Enry Cappe, procureur du monastère ; sa souffrance profonde se fait tellement sensible, que le Prieur le reçoit et le presse de quitter le Monastère en lui confiant ces paroles prophétiques : « Allez, Dieu ne vous veut pas chez nous, suivez les inspirations de la Grâce. ».
Le 2 octobre, Benoît écrit une lettre à ses parents pour les tenir au courant, dont quelques phrases envisagent l’avenir sous un jour différent : «... je suis sorti le second jour d’octobre. Je regarde cela comme un ordre de la Providence qui m’appelle à un état plus parfait. Ils m’ont dit que c’était la Main de Dieu qui me retirait de chez eux. Je m’achemine donc vers la Trappe, ce lieu que je désire tant et depuis si longtemps... Ne vous affligez pas... Il ne vous est pas permis de résister à la Volonté de Dieu qui en a ainsi disposé pour mon plus grand bien et pour mon salut… J’aurai toujours la crainte de Dieu devant les yeux et son Amour dans le coeur. »...
Voici donc Benoît en route vers ce qu’il considère probablement comme son unique espoir : la Trappe Notre-Dame du Saint Lieu à Sept Fons, près de Moulins.
Faisant un ultime détour par Soligny, où il ne peut que réentendre ce qui lui a déjà été dit, il frappe à la porte de Sept Fons après avoir parcouru à pied 800 km. Admis comme postulant, le 11 novembre il prend l’habit des mains de dom Dorothée Jalloutz et reçoit le nom de frère Urbain.
Les moines qui l’entourent admirent l’intensité de la vie spirituelle de ce jeune frère, dont chaque instant de liberté se passe devant le Saint Sacrement. Cependant, une inquiétude se fait jour, face aux privations, non prévues par la Règle, que Benoît multiplie et s’impose. Cet ascétisme exacerbé n’est-il pas un symptôme, une manifestation de cet état dépressif qui, peu à peu, le submerge à nouveau ? Benoît se retrouve effectivement confronté aux tiraillements incessants du doute concernant sa capacité à répondre à l’appel du Seigneur, à la violence des vagues de ce scrupule qui le met "hors de lui" et le laisse pantelant, dans la marge de son désir. Le maître des novices ne peut que constater le "délabrement" psychologique et physique du jeune frère, et, craignant sérieusement pour son équilibre, le fait admettre à l’infirmerie du monastère, où le soigne le frère Justin Richard.
Le 2 juillet 1770, Benoît-Joseph entend à nouveau de l’Abbé qu’il lui est impossible de demeurer entre ces murs, en cet état de vie, mais que Dieu l’attend "ailleurs…"...
(Biographie rédigée à l’Hospice du Grand Saint-Bernard,
en la fête de la Transfiguration,
le 6 août 2002)